
C'est dans les locaux de Gaumont que nous avons rencontré Vincent Lindon et Gilles Lellouche pour la sortie du film Mea Culpa, au ciné ce mercredi 5 février. Découvre vite leurs réponses.
Quelles ont été les premières choses que vous vous êtes dites à la lecture du scénario ?
Vincent Lindon : Moi c'est un mot : Enfin !
Gilles Lellouche : Moi c'est un mot : Youpi !
Fred Cavayé dit de Mea Culpa que c'est une synthèse de ces 2 premiers films, raison notamment pour laquelle il vous a réuni. Du coup, quel est votre regard à chacun sur l'évolution entre Pour Elle et Mea culpa pour vous Vincent et entre A bout portant et Mea pour vous Gilles ?
GL : C'est surtout une évolution, une émancipation. Il s'est complètement décomplexé. Il est allé vers un genre qui lui plait depuis toujours avec une envie et une fougue qui est assez rare et assez louable dans un cinéma français qui est assez sclérosé en ce moment, un peu timide. Lui, il y est allé avec beaucoup d'audace et il est devenu très impressionnant techniquement. Les deux films qu'il a fait avant lui ont permis d'aboutir dans type de genre et ce type de film comme personne d'autre n'aurait pu le faire.
VL : Je vais le dire en métaphore. On a fait tous les deux une course en Formule 3 à des vitesses incroyables et tout d'un coup on est rentrés sur le circuit F1. La première fois, on se demande comment ça va se passer parce qu'il y a toujours une première fois. Là, tout a été décuplé, sa mise en scène, sa dextérité à la caméra, et ce qui m'a le plus interloqué, c'est sa faculté à prendre des décisions rapides et à faire des frappes chirurgicales sur ce dont il a besoin exactement.
Sur le tournage, il n'y avait pas de gras. Il avait un montage dans la tête. Il savait exactement ce qu'il voulait dans chaque séquence, dans chaque scène, dans chaque prise et le métier rentrait à une vitesse dingue chez cet homme. On a l'impression qu'il a 12 films derrière lui.
Après qu'on ait fait connaissance avec les personnages au début du film, Il y a vraiment un côté haletant dans le film qui ne s'arrête jamais, il y a un côté très physique, comment vous êtes vous préparer ?
GL : Oui 20 fois plus parce qu'il n'y avait pas que notre entrainement personnel de sportif, il y avait aussi toutes les chorégraphies des bagarres qui sont des choses auxquelles je n'avais jamais touchées. C'était assez grisant et épuisant parce qu'après le tournage le jour, on avait les répétitions des bagarres le soir. Pendant 3 semaines on a répété, encore et encore, avec une espèce d'hygiène de danseur finalement. Ce sont des chorégraphies segmentées, il faut absolument les maîtriser de A à Z. C'était un tournage assez nouveau et singulier. Si le film est réussi, c'est aussi parce qu'il a cette volonté de démultiplier les cadres, les focales, les axes. C'est quelqu'un de très exigeant sur sa façon de découper le film, c'est un grand technicien. On savait qu'un sprint de 50 mètres devrait être refait encore et encore.
VL : Fred a une qualité dont on a énormément souffert pendant le tournage, c'est qu'il est incharmable. Quand il veut quelque chose, il ne s'apitoie pas. Si on se faisait mal, il passait le temps requis, la portion congrue d'inquiétude tout en sachant qu'il finirait par faire sa scène. Il y a ce truc formidable chez Fred, et c'est obligatoire pour être un grand metteur en scène, c'est son égoïsme qui est de « Je m'en fiche, j'irai jusqu'à la trogne. Moi j'ai besoin d'une image et tant que je l'ai pas, je vais l'a traquée. Ça coûtera ce que ça coûtera. Vous allez me détester mais un jour vous me direz merci. » C'était le mot d'ordre pendant tout le film et c'était formidable. C'est ce qu'on appelle un meneur d'homme. Il nous promet la victoire qualitative. Il n'en est même pas sûr lui-même mais c'est un grand vendeur.
Il y a des scènes bagarres très violentes, vous les avez toutes jouées, où vous avez été doublé ?
GL : Absolument toutes ! La vraie bagarre française.
VL : Sauf trois moments de six secondes qui un, on ne sait pas le faire, et deux, si tant est qu'on sache le faire, de toute façon, on n'a pas le droit de le faire car aucun metteur en scène, aucun producteur digne de ce nom ne nous aurait permis de le faire et aucune assurance ne nous aurait assurer. C'est-à-dire une chute de 6 mètres ou se faire renverser par une voiture. Mais sinon toutes les bagarres, toutes les chorégraphies, toutes les courses à pieds, toutes les poursuites, c'était nous. Et c'est pour ça que Fred peut nous filmer de face, il peut partir de la tête et descendre aux pieds. Je prends souvent cet exemple d'une scène de pianiste où on voit les mains du pianiste, il y a un cut et on voit sa tête. Moi ça m'a toujours cassé un film. Mais quand on est sur les mains et qu'on remonte et qu'on arrive au visage et que c'est lui qui joue, à chaque fois ça m'émeut. Je me dis : où l'acteur savait le faire dès le départ, où il a travaillé pour ça et ça donne une véracité formidable au récit.
Pour rester sur la bagarre, c'est souvent un jeu de gamin, enfant vous étiez plutôt bagarreur ou posé ?
GL : Moi j'étais un enfant posé et un adolescent bagarreur.
VL : Et moi j'étais un enfant pas posé et je suis un adulte pas posé. Et je n'ai jamais été très bagarreur parce que je n'ai pas eu l'occasion.
Comme vous aviez déjà joué dans les films de Fred Cavayé, vous saviez qu'il y aurait peu de dialogue. Qu'est-ce que ça apporte à un acteur ? C'est plus difficile ou plus simple de savoir s'exprimer avec son corps ?
GL : Moi je trouve ça absolument formidable. J'ai adoré ça. On est dans un pays où la tradition est quand même le dialogue et pour une fois, on nous donne l'occasion - alors que le cinéma français a eu l'occasion mille fois de faire un cinéma très taiseux notamment avec Belleville - de pouvoir faire un film essentiellement physique qui ne trahit en aucun cas notre métier d'acteur. C'est un jeu d'instinct, un jeu primaire où l'on renoue avec cette innocence et cette vérité qu'on a quand on a 12 ans et qu'on joue aux cow-boys et aux indiens. On y croit absolument. Au même titre que les américains savent très bien faire quand ils font Star Trek et réussissent à vous faire croire à des dialogues complètement improbables parce qu'ils y croient, nous on y est.
VL : Dans mon cas, c'est un peu plus compliqué parce que j'ai l'habitude de faire des rôles taiseux. Dans Quelques Heures de Printemps, on ne peut pas dire que je m'exprime beaucoup, dans Mademoiselle Chambon non plus, dans Welcome pas trop, et souvent on m'a dit : « C'est fou ce que tu peux peu parler dans les films et t'arranger pour faire passer des choses avec le corps. » Moi je crois énormément aux situations et à l'état, au regard, à ce qu'on présente. Le cinéma a commencé comme ça, avec le cinéma muet.
Peut-on dire finalement qu'avec moins de dialogue on a du coup un vrai jeu d'acteur ?
GL : Absolument. Je prends comme référence Comedia Del Arte, mais moi plus ça va plus j'ai tendance - quand le réalisateur ou l'auteur le permet et surtout quand je me l'autorise - à enlever du texte plutôt qu'à en rajouter. Comme la très bien dit Vincent, le silence est le plus éloquent des discours et surtout pour un acteur.
VL : Mais ça dépend du genre. Dans Le Loup de Wall Street, DiCaprio parle énormément. Mais seulement parce que le personnage est énergique, parce qu'il doit raconter des bobards du matin au soir pour enrôler tout le monde avec lui et c'est quasiment comme s'il se taisait puisqu'il parle tout le temps. Et le mieux est l'ennemi du bien donc si vous parlez tout le temps on ne vous entend plus.
Mea Culpa est un film d'action mais pas seulement, il y a une tension psychologique, les personnages ont un parcours de vie difficile. Comment on ressort d'un film comme ça ?
GL : Fatigué mais content. Très sincèrement, je sais que je ne vais pas me faire des copains mais ce côté « J'ai mis 3 mois pour me remettre de ce rôle » moi je ne fais pas du tout parti de cette kermesse.
VL : Moi non plus.
GL : Je crois que c'est une façon de s'auto-raconter, de créer son propre mythe. Honnêtement, je n'ai pas beaucoup connu d'acteur depuis que je fais ce métier qui s'enferment le soir dans sa chambre d'hôtel en disant « Je suis tellement dans le personnage, excuse-moi mais là il faut que je fasse la paix avec moi-même ». En France, on n'est pas de cette école là. Je peux concevoir les américains et cette technique, cette de s'auto-romancer et d'écrire sa propre histoire. Mais je ne pense pas que nous ayons besoin de passer par ça.
Vos meilleurs souvenirs de tournage ?
VL : Pas de point précis. C'est un ensemble. On se disait : quelle chance on a d'être là.
GL : Normalement, le premier jour est le pire parce que c'est celui où on est le moins à l'aise. Mais là comme on connaissait l'équipe, comme je connaissais Fred et comme je commençais à connaître Vincent, je me souviens avoir été très excité de tourner notre première scène tous les deux. C'était un joli souvenir.
VL : Moi je ne pouvais pas car je me suis blessé dès le matin.
Sur le tournage qui était le plus casse cou ?
GL : Les deux.
VL : C'est pareil.
GL : Là il y a deux mongolos.
Le plus en retard ?
VL : Là il n'y a pas photo c'est Gilles. C'est la même différence qu'entre MacEnroe et Bernard Blier au tennis. C'est Gilles.
GL : Mais pas sur un plateau. Je suis très en retard dans la vie.
Le plus farceur ?
VL : Gilles je crois. Il est plus décontracté que moi.
GL : Oui mais farceur, je dirais les deux.
Vous avez fait le tour des cinémas en province, comment s'est passée la rencontre avec le public ? Quels ont été les premiers retours ? Ceux qui vous ont plus le marqué.
GL : La chose la plus étonnante, c'est que les premières salles qu'on a faites étaient exclusivement remplies de femmes alors qu'on s'attendait à voir pas mal de moustachus.